Le cancer et ses traitements ont la fâcheuse réputation de malmener l’estime de soi lorsque l’on est malade. Depuis quelques années, la socio-esthétique s’est développée en parallèle des thérapies conventionnelles. Mais si devant la maladie
Octobre rose : un mois pour sensibiliser et lutter contre le cancer du sein
Le cancer et ses traitements ont la fâcheuse réputation de malmener l’estime de soi lorsque l’on est malade. Depuis quelques années, la socio-esthétique s’est développée en parallèle des thérapies conventionnelles. Mais si devant la maladie tout le monde est à égalité, tous les patients ne peuvent accéder à ces soins esthétiques dits de confort.
À Rouen, Brigitte, atteinte d’un cancer du sein en 2012, a bénéficié des services proposés par la Ligue contre le cancer. « J’ai fait de l’art thérapie, de la musicothérapie, j’ai participé à des groupes de paroles pour oser être soi et penser à autre chose. C’est très important pour les personnes atteintes de cette maladie. Je ne mets jamais de vernis aux ongles mais je l’ai fait pour penser à autre chose. J’ai surtout mal vécu ma prise de poids, quinze kilos liés à des problèmes de thyroïde, plus que la perte de mes cheveux », se souvient-elle.
TOUT N’EST PAS REMBOURSÉ
« J’ai porté une perruque achetée 500 euros pendant plus d’un an sauf le soir chez moi. Je mettais un foulard sur la tête... Se maquiller, c’est aussi avoir un état d’esprit combatif. Mon souci, aujourd’hui, ce sont mes sourcils qui ne repoussent pas... » Les effets secondaires des traitements obligent souvent les patientes à consulter d’autres spécialistes (dermatologues, dentistes...). Des consultations qui ne sont pas prises en charge dans le cadre de l’Allocation longue durée. Il en est de même pour les produits de soins consécutifs aux traitements : une crème hydratante pour la sécheresse cutanée ne sera pas remboursée à 100 % même si ces problèmes ont été provoqués par les traitements. En cas de reconstruction mammaire, les prothèses font l’objet d’un remboursement à 100 %. En revanche, les maillots de bain et les soutiens-gorge adaptés au port de prothèse ne le sont pas.
Colette, du Havre, a mal vécu cette période. Elle dénonce le coût et le manque de prise en charge : «Déjà, on t’oblige presque à acheter une perruque en faisant porter sur toi le spectre de la calvitie. Tu as la Sécu mais à moins de 400 euros, les perruques sont moches et, de toute façon, rares sont celles qui les portent finalement. Le moindre foulard coûte 75 euros non remboursés. Le moindre soutien-gorge ou maillot de bain orthopédique un peu stylé coûte 100 euros, non remboursés. On te vend les vernis au silicium 20 euros non remboursés, puis des produits pour ne pas perdre les sourcils et cils, 40 euros non remboursés. Enfin les crèmes, les maquillages semi-permanents hors de prix non remboursés... Un véritable business pour les pharmacies et parapharmacies. Toutes les boutiques spécialisées te mettent bien la pression en te disant que tout ça est indispensable. Et comme tu es fragile et malade, tu le fais. Et je ne parle pas des prothèses pour aller se baigner : 60 euros non remboursés. J’estime à 1 500 euros les soins de ma poche pendant le traitement. Qui peut se le permettre quand on est payé au Smic ou au chômage ? »
Pour les prothèses capillaires, l’assurance maladie propose un forfait de remboursement de 125 euros, quel que soit le montant de la perruque. À Rouen, la Clinique du cheveu-institut Mongour est l’un des spécialistes du remplacement capillaire. « Les hommes, les femmes, les juniors... Nous traitons les zones irradiées et nous faisons des prothèses sur mesure, pendant ou après les traitements car parfois les cheveux ne repoussent plus », indique Maryvonne Gest, la responsable depuis 2010. « Oui, nos clients sont en détresse. 75 % sont dépités. Les femmes souffrent beaucoup, la perte de leur féminité lorsqu’il y a ablation d’un sein, plus la perte des cheveux... Nous sommes là pour les réconforter et trouver des solutions pour qu’elles retrouvent leur image. C’est un beau métier que nous faisons. Nous leur conseillons de se rapprocher le plus de leur image pour que l’entourage familial ou le travail ne s’en aperçoive pas. Beaucoup de personnes ne veulent pas répondre aux questions, elles veulent être tranquilles. » Maryvonne Gest conseille l’achat de perruque en cheveux synthétiques « car le plus souvent c’est pour une période provisoire. Autant être raisonnable. » Le prix peut monter jusqu’à 700 euros pour du haut de gamme.
De 1 000 à 2 000 euros pour des cheveux naturels !
A.L.
a.lemarchand@presse-normande.com
n 1er : le cancer du sein est le premier cancer et la première cause de décès par cancer chez la femme. n90 % : détecté à un stade précoce, le cancer du sein peut être guéri dans plus de 90 % des cas.
n 30 % : les mastectomies représentent aujourd’hui 30 % des chirurgies du sein : deux femmes sur trois peuvent conserver leur sein.
n 1,5 % : la mortalité par cancer du sein en France a diminué de 1,5 % par an entre 2005 et 2012.
n 86 % : le taux de survie nette à 5 ans d’un cancer du sein est de 86 % pour les personnes diagnostiquées entre 1989 et 2004. À titre de comparaison, le taux de survie nette à 5 ans après un diagnostic de cancer du poumon n’est que de 14 %.
n 2004 : année de généralisation du dépistage du cancer du sein pour l’ensemble des départements français. n 53 % : plus d’une femme sur deux a participé au dépistage organisé en 2012, soit près de 2 400 000 femmes de 50 à 74 ans.
n 150 000 : de l’ordre de 150 000 cancers du sein ont été détectés par le programme de dépistage depuis plus de 10 ans. 7 % : en moyenne, 7 cas de cancer sont observés pour 100 femmes dépistées.
La socio-esthétique comme support
Emmanuelle Bon-Giraud est socio-esthéticienne pour l’association Soins esthétiques et mieux-être à l’hôpital (Semeh) créée il y a 9 ans. Elle prodigue des soins pour les malades hospitalisés au centre Becquerel de Rouen.
Qu’est-ce qu’une socio-esthéticienne ?
n « Au centre de lutte contre le cancer Henri-Becquerel, nous sommes deux. Nous avons été formées à Tours dans la seule école reconnue en France. Nous pouvons intervenir en milieu carcéral, en cancérologie. Il s’agit de soins esthétiques mais aussi d’intervention auprès de personnes en souffrance. »
En quoi consistent les soins ?
n « Il y a ceux liés aux effets secondaires de la chimiothérapie et radiothérapie, la perte des cheveux, des ongles, les brûlures... Nous faisons aussi beaucoup de massage pour le côté bien être. Les deux axes peuvent se croiser. »
La demande est-elle essentiellement féminine ?
n « Cela concerne bien évidemment les femmes mais nous avons aussi des hommes pour le côté détente. Je précise que nous travaillons pour une association, que nous avons une permanence quotidienne et que tout est gratuit ! Nous ne cherchons pas la rentabilité car sinon les soins esthétiques ne sont pas abordables pour tous. La demande est d’ailleurs forte et nous ne pouvons pas répondre à tout. Nous suivons plus de mille malades par an. »
Il faut beaucoup d’empathie mais aussi du recul...
n « Oui. Chez ces malades il s’agit de faire émerger la personne avant tout. Nous en tenons compte. Les gens sont en souffrance physique et psychologique. Il faut en effet beaucoup d’empathie et nous faisons beaucoup de cocooning. Nous restons professionnelles et nous avons été formées pour cela à Tours mais nous suivons les malades sur plusieurs mois, voire des années si le traitement se poursuit. Des liens se créent bien sûr. »