Femmes atteintes de cancer, détenues, victimes de violences conjugales Autant
de circonstances où la féminité est mise à mal. Véronique Lavigne, socio-esthéticienne,
à Bordeaux, apporte des outils pour aider des femmes à réapprendre à
Véronique Lavigne, socio-esthéticienne militante
Femmes atteintes de cancer, détenues, victimes de violences conjugales... Autant
de circonstances où la féminité est mise à mal. Véronique Lavigne, socio-esthéticienne,
à Bordeaux, apporte des outils pour aider des femmes à réapprendre à s'aimer
« Sérénité. C'est ce que je ressens. Zen. Apaisée. Nettoyée en profondeur. » Au fur et à mesure du massage, les traits du visage de Sandra se sont transfigurés. Pendant la pose du masque qui a suivi, les éclats de rire ont fusé, en se regardant les unes les autres, le visage plâtré. Des verres de tisane circulent. Et ça papote. De tout et de rien. Des astuces beauté comme on s'en échange entre copines. Sauf qu'ici elles sont orientées en fonction de ce dont on dispose en cellule. Pas de produits alcoolisés. Et pas forcément beaucoup de moyens pour cantiner. « Des sachets de thé usagés pour les bains de pieds, de la banane écrasée, ou une compote de pommes pour un masque, de l'huile végétale pour les massages... n y a plein de recettes accessibles ici ! »
Tous les lundis matin, Véronique a rendez-vous au quartier des femmes du centre pénitentiaire de Gradignan en Gironde. Pendant deux heures, elle délivre conseils et soins de beauté à six détenues volontaires. Véronique est socioesthéticienne. Formée pour prodiguer des soins de bien-être, médiatrice de santé et d'insertion. Un choix professionnel après avoir exercé une dizaine d'années en institut de beauté. « Mon métier d'esthéticienne acquis, cela m'a permis de privilégier la relation humaine, le non-verbal, par le biais du toucher. Communiquer autrement, recueillir les confidences, éventuellement orienter vers des professionnels en fonction des demandes, car mon intervention s'inscrit toujours dans un travail interdisciplinaire. »
Un sas de décompression
Madonna en fond sonore, l'atelier se poursuit. Les massages du visage se font en face à face, entre détenues.« N'oubliez pas les trapèzes. Stressées, on se crispe. Pareil au niveau des cervicales ou des muscles de la mâchoire», « Comme ça?», « Oui. L'important est de les faire toujours en remontant pour bien lifter les traits. » Entre elles, les détenues parlent de la vie dehors, de la famille, du compagnon.
Parfois une ombre passe comme quand l'une d'entre elles revient sur une nouvelle apprise deux jours avant sa sortie : « Trois mois de plus. Ils viennent de tomber. »
Emprisonnées. Condamnées ou en attente d'un jugement. Entre parenthèses. «Mais pendant l'atelier, il y a des moments où elles peuvent ne plus se croire ici. Souffler. Oublier. Parce que, une fois en cellule, on ressasse», explique le cadre de santé de l'Ucsa (unité de consultation et soins ambulatoires) du CHU de Bordeaux, qui travaille avec la socio-esthéticienne.
À l'issue du soin, c'est comme si elles avaient posé leurs valises et repartaient allégées.
« Intervenir en établissement pénitentiaire était important pour moi», précise Véronique Lavigne. « J'étais préoccupée de la condition des femmes en univers carcéral. L'accès aux produits de soin et d'hygiène est très limité. Les aspects dégradants sur la féminité m'inquiétaient, et il y a aussi la question de la réinsertion, qui se pose très vite en maison d'arrêt. Comment les accompagner à améliorer leur aspect pour à terme se réinsérer socialement et professionnellement? »
Véronique rappelle sans cesse les notions d'hygiène: « Mon métier permet d'aborder ces questions sans les culpabiliser. Et un maquillage est toujours accompagné d'un démaquillage parce qu'elles doivent pouvoir se regarder maquillées et démaquillées. » Un maquillage qui pourra aussi leur permettre de paraître à leur avantage dans les parloirs ou lors des confrontations.
Reconstruction
« Depuis longtemps, on ne m'avait pas touchée avec bienveillance, sans rien exiger en retour... J'avais arrêté de penser à moi. Véronique prend du temps. S'adapte. Si j'ai besoin de parler, elle sait recevoir... Le fait de venir m'a encouragé à m'occuper de moi: mettre de la crème, du vernis. C'est un moyen de me réapproprier mon corps », confie Alma, 30 ans.
« Un moment pour moi. Ce moment-là, je ne l'avais plus depuis quatre ans... Elle nous fait nous sentir femme. On se sent à nouveau quelqu'un alors qu'on était devenu un objet... Jusque-là, prendre un temps pour moi, je m'en fichais. Ma peau se faisait tellement maltraiter
toute la journée », indique Patricia, 24 ans. Toutes les deux vivent provisoirement dans un lieu tenu secret à l'écart d'un conjoint violent. Tentant de se reconstruire.
« Dans le centre où elles sont accueillies, en attendant de trouver une solution, les femmes victimes de violences conjugales ont une image d'elles-mêmes extrêmement dégradée. Certaines sont introverties, ont du mal à verbaliser. » En partenariat avec l'Apafed (Association pour l'accueil des femmes en difficulté), Véronique Lavigne mène des ateliers pour des femmes chez qui la féminité est oubliée.
Elle les reçoit à la Maison du bien-être, un lieu créé pour les personnes fragilisées. Comme ces patientes en cancérologie qui peuvent bénéficier de soins esthétiques, ou des services d'une coiffeuse prothésiste, d'une diététicienne ou encore d'une conseillère en image.
« Prendre soin de soi, c'est un début pour aller vers une reconstruction », estime Véronique Lavigne. « La peau est un miroir des émotions. Dans la précarité,dans des situations de stress, les peaux des femmes réagissent sous différentes formes : le soin participe à apaiser la personne. Même s'il n'empêche pas l'éruption, la réaction cutanée, cela apaise. »
"J'ai appris à établir, à l'image des relations dans l'univers carcéral, une sorte de rapport de force".
Une juste distance
Se réapproprier son corps, éviter le repli sur soi. Tout cela passe par un toucher sensible, une écoute, et un professionnalisme sans faille. « Ne pas être dans la plainte, mais voir, au-delà de ce pourquoi elles sont ici. Parler de femme à femme. Je ne suis pas dans le jugement et ne m'attache qu'à la femme qui est en face de moi. Pas question d'être dans l'angélisme. Je suis pragmatique, terre à terre et je travaille sur l'image de soi, la confiance en soi, la féminité, l'hygiène. Si nécessaire, j'ai appris à établir, à l'image des relations dans l'univers carcéral, une sorte de rapport de force, à recadrer. Ma formation m'a enseigné un volet psychiatrique : adapter nos réactions à différentes problématiques. » Apprendre à évacuer aussi, une faculté primordiale pour être disponible à l'autre. « Que ce soit en cancérologie, en maison d'arrêt ou auprès des femmes victimes de violences conjugales, il faut savoir prendre du recul. D'où la nécessité d'une formation spécifique car on est très proches de ces femmes, on recueille leurs confidences. »
Des actions qui lui demandent aussi de solliciter des fondations pour soutenir un travail qui ne reçoit que de sporadiques aides des institutions comme la Fondation M6 ou L'‘Oréal. Les marques de cosmétiques, participent aussi à leur approvisionnement en produits de soins et de maquillage. Une autre facette du métier, qu'elle n'avait pas forcément apprise lors de sa formation !
Dans le cadre d'un projet avec les détenues de la maison d'arrêt de Gradignan sur l'estime de soi, le rapport au corps et la féminité, un défilé de mode dont les détenues seront les mannequins et une exposition sont prévus dans la maison d'arrêt le 8 mars 2015.
Maison du bien-être
Centre de santé mutualiste
45, cours du Maréchal-Gallieni, à Bordeaux, 06 67 60 92 22 instantdebeaute.blogspot.com